La pratique du Yoga nous oblige-t-elle à se distancier de toute implication et/ou engagement dans la chose politique – la vie de la cité?
Lorsque je parle d’obliger, cela pourrait signifier devoir adopter une attitude « distanciée » et attendue quant aux tumultes nourris dans nos sociétés. Car il est clair que comme pour tout secteur d’activité ou milieu d’activité – et le yoga en est un également, il se doit d’utiliser un certain langage et une certaine posture. En Occident, le « milieu du yoga » véhicule une image d’apaisement et de prise de hauteur voire de distance.
La pratique du yoga et son milieu qui s’y développe, est régulièrement mis en avant pour son attention sur le cheminement interne et sensible. Le focus est ainsi mis sur l’individu et sa responsabilité concernant son devenir et son évolution progressive.
Il n’est donc pas étonnant que cette pratique du yoga soit aussi souvent mise en lien avec une certaine vision de « la liberté d’entreprendre » – entreprendre son émancipation versus entreprendre son activité professionnelle.
le Yoga tel le pendant soft power du capitalisme?
A pointer la responsabilisation (ou responsabilité?) individuelle dans ce qui nous advient et ce vers quoi il est « lumineux » de tendre, il est aisé de percevoir la pratique du Yoga comme le pendant « soft power » du capitalisme de plus en plus agressif.
En effet, l’approche du yoga possède une dimension subversive – dimension interne à l’individu qui s’émancipe d’une condition peut-être étriquée, étouffante voire souffrante. Est subversif ce qui modifie l’équilibre vécu. Ainsi une approche thérapeutique possède en soi cette dimension subversive en questionnant par la pratique, l’équilibre – parfois souffrant et précaire – de la personne en chemin.
Cet aspect « interne à l’individu » la rend « compatible » au capitalisme qui ne sera que trop peu remis en question. « Si tu es submergé par le stress, les pensées troubles et agitées, pratique le yoga!…tu en reviendras que plus fort au travail! » Alors que de nombreux contextes professionnels de même que la notion même de « travail » et sa mise en œuvre dans nos sociétés sont problématiques!
Selon moi, la pratique du Yoga porte en elle non seulement cette dimension interne d’émancipation salvatrice mais également une articulation collective et politique – approche critique et subversive. Cette dimension solidaire et éthique me semble indispensable et rend la pratique du Yoga « complète » et essentielle! En effet, ce sont bien ces aspects intérieurs et extérieurs qui donnent la puissance à cette pratique millénaire.
Aujourd’hui, nous parcourons une période, une époque portée par la morosité et la violence, portée par les réactionnaires et les replis identitaires… le monde et ses composantes sociales se craquellent, s’enflamment et buttent contre la fin d’un modèle. La fin d’un cycle peut-être.
Nous pouvons pour certains, croire en cette frilosité internationale, croire en ces régressions sociales, laisser mourir l’autre à notre porte…et ramener la couverture sur soi en fermant les dernières issues encore ouvertes. Ainsi laisser nos peurs notamment s’exprimer d’une certaine manière.
Nous pouvons pour d’autres aussi, être en difficulté avec ces dynamiques d’exclusions qui alimentent notre colère et notre indignation. La pratique de Yoga doit nous permettre d’accueillir le mouvements des émotions – toutes émotions demandent de l’écoute! Sans rejet.
Être aligné intérieurement ne doit-il pas permettre de matérialiser cet alignement à l’extérieur? Une clarté intérieure ne doit-elle pas nous soutenir dans ce cheminement collectif meilleur? Entendre l’agitation du monde ne doit-il nous mettre en route dans l’empathie retrouvée?
La pratique du Yoga ne peut pas se dissocier d’un engagement intérieur et extérieur. Exprimer la colère ou la profonde tristesse, l’indignation ou la révolte sont des aspects qui, dans leurs expressions spécifiques et conscientes, peuvent porter en eux du soin voire de la guérison. Prendre soin de soi, de l’autre et du collectif… « Face à la barbarie qui s’annonce, la rue peut aussi dire non. »